Littérature

Louis-Sébastien Mercier : l’écrivain du XVIIIᵉ siècle qui rêvait de l’an 2440

Louis-Sébastien Mercier (1740-1814) n’a jamais vraiment joué selon les règles. Né à Paris sous Louis XV, il est d’abord destiné à une carrière ecclésiastique, mais abandonne bien vite cette voie pour embrasser l’écriture. L’homme se veut tout à la fois : romancier, dramaturge, journaliste, pamphlétaire, philosophe, et, parfois, prophète. Il écrit sans relâche, accumulant des milliers de pages dans un style souvent sec, parfois brutal, toujours engagé. L’An 2440 et Tableau de Paris Mercier se fait connaître en 1771 avec L’An 2440, un roman qui, plus que toute autre œuvre, le projette dans l’histoire. Ce texte est l’un des premiers récits d’anticipation modernes, imaginant un Paris futuriste, à la fois libéré des chaînes de l’Ancien Régime et régi par la raison. En pleine monarchie absolue, il rêve d’une France sans roi ni religion, un pays où les femmes ont des droits, où la misère a disparu, et où l’État sert enfin l’intérêt général. C’est une utopie qui, en creux, critique sévèrement la société de son époque, une société que Mercier juge gangrenée par l’injustice et l’ignorance. Mais L’An 2440 n’est pas le seul coup d’éclat de Mercier. Il est aussi l’auteur du Tableau de Paris (1781), une œuvre monumentale en 12 volumes qui dépeint les rues de la capitale dans un réalisme inédit pour l’époque. Ce n’est ni Balzac, ni Zola, mais quelque chose s’en approche déjà. Il décrit tout : les mendiants, les prostituées, les aristocrates dégénérés et les intellectuels en quête de sens. Le Paris de Mercier est sale, bruyant, et fascinant. Mercier ne verra pas 2440 Mercier traverse les régimes politiques aussi rapidement qu’il tourne les pages. Monarchie, Révolution, Empire — il survit à tout, même à la Terreur, malgré un passage en prison sous Robespierre. Mais ses idées trop progressistes finissent par l’isoler. Ses contemporains comme Chateaubriand et Senancour le considèrent avec méfiance, voire mépris. Il meurt en 1814, dans l’anonymat relatif, alors que ses œuvres continuent à influencer secrètement les écrivains du siècle suivant. Mercier, inclassable, était déjà un autre avant l’heure. Ses visions futuristes et son style incisif ont fait de lui un précurseur de la science-fiction et un chroniqueur implacable de son temps.

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Les Cahiers de l’Herpès, nouveau concept littéraire (spécial Freud, Dostoïevski, Brecht, Joyce Carol Oates, etc.)

La vie est pleine de surprises. Les ventres sont pleins de papillons. Et les revues littéraires s’adaptent à leur époque. En naviguant sur Leboncoin hier, j’ai eu la joie de découvrir une nouvelle revue. Une sorte de spin-off des Cahiers de L’Herne. Qui deviennent donc les Cahiers de l’Herpès. De quoi parlent les Cahiers de l’Herpès ? Voici la photo des numéros disponibles : Avec beaucoup de numéros prometteurs. Voilà rapidement, pour chaque édition de ces Cahiers de l’Herpès, le sujet traité : Mann : « Comment contracter l’herpès par simple ennui existentiel — ou les ravages de l’oisiveté ». Lovecraft : « Herpès cosmique et tentacules dans l’inconnu : l’angoisse de l’infection lovecraftienne ». Le Grand Jeu : « La transmission virale au lancer de dés — risquer l’herpès dans les jeux de hasard ». Dostoïevski : « Les frères Herpèsovitch, ou comment le virus devient métaphysique dans l’âme slave ». Freud : « L’herpès et le Ça : une psychanalyse des boutons refoulés ». Jung : « Les archétypes de l’herpès dans l’inconscient collectif — rêve ou cauchemar viral ? ». Michon : « Quand l’herpès inspire les petites vies : portraits de boutons oubliés ». Oates : « Chronique d’une éruption annoncée : l’herpès et le drame du quotidien américain ». Schopenhauer : « La souffrance universelle en boutons — ou comment l’herpès nous rappelle l’absurdité de l’existence ». Berlioz : « Symphonie pour une fièvre herpétique en quatre mouvements : douleur, démangeaison, frustration, désespoir ». Saussure : « Sémiologie de l’herpès : de la transmission des signes à la linguistique des pustules ». Musil : « L’homme sans herpès : quête de l’identité dans un monde sans boutons ». Brecht : « Le théâtre épique de l’herpès : distanciation et pédagogie des démangeaisons ». Héritier : « Quand l’herpès se transmet de génération en génération : entre génétique et fatalité anthropologique ». Un Don Visionnaire (mention spéciale) : « L’herpès comme révélation prophétique — pour ceux qui savaient avant les autres ». Contagion littéraire : quand les grands esprits se refilent plus que des idées Il y a là de quoi philosopher. On peut parfois croire qu’il suffit de mettre un peu de pommade littéraire sur l’infection existentielle pour que tout rentre dans l’ordre. Mais non. Car, si l’on en croit ces Cahiers de l’Herpès, le mal est plus profond : il est universel, il est intraduisible, il est, osons le mot, irrémédiablement contagieux. Et c’est ainsi que de Dostoïevski à Lovecraft, de Freud à Saussure, tous, à leur manière, se retrouvent ici en experts de la poussée virale. Leur fièvre est devenue notre fièvre, leurs démangeaisons sont devenues nos démangeaisons. De quoi donner un sens nouveau au concept de la transmission des idées. Alors, si vous ressentez l’appel irrésistible des Cahiers de l’Herpès, n’oubliez pas cette simple vérité : les grands esprits se rencontrent. Et parfois, ils laissent des traces. Gardez vos mouchoirs, et surtout… ne prêtez pas vos revues.

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bukowski anniversaire mort 9 mars

Comment le monde n’a pas fêté la mort de Charles Bukowski depuis 30 ans

Le 9 mars 1994, Charles Bukowski en terminait avec son passage sur Terre. Il aura vécu 74 ans, ce qui est plutôt remarquable étant donné son mode de vie en général. Il n’est pas exactement juste de dire que la littérature ne sert à rien. Elle ne sert effectivement presque à rien. Le monde ne change apparemment pas beaucoup en fonction des livres que l’on publie chaque année. Toutefois, quelques humains en perçoivent régulièrement quelques rayons de lumière. C’est tout ce qu’il faut retenir. Bukowski a passé un peu de lumière. On fera quand même la démonstration vraisemblablement inverse : le monde n’a pas l’air d’avoir eu envie de fêter la mort de Bukowski en général. Voici ce qu’il s’est passé à chaque date anniversaire de sa mort depuis le 9 mars 1994. 9 mars 1994 Fernando Rey, l’un des acteurs fétiches de Bunuel, décède le même jour que Bukowski. 9 mars 1995 Madonna et Céline Dion en tête des charts. Valéry Giscard d’Estaing annonce qu’il n’est pas candidat à l’élection présidentielle. 9 mars 1996 Robert Miles est en tête des charts au Royaume-Uni avec Children https://www.youtube.com/watch?v=QwqmJilXxJY. Les frères Coen sortent Fargo, le film. Bukowski l’aurait probablement aimé, mais ne l’aurait pas avoué. Ou en le critiquant légèrement. La Chine tire trois missiles au large de Taïwan. 9 mars 1997 Le rappeur américain The Notorious BIG est assassiné à l’âge de 24 ans. La chanson Wannabee des Spice Girls est en tête des charts un peu partout. Bukowski aurait probablement tenu des propos orduriers à son sujet. La FAO estime que la déforestation de la planète ralentit. Paco Rabanne n’en était pas le directeur. 9 mars 1998 Eminem, rappeur inconnu, signe sur le label de Dr Dre. Bukowski n’en aurait rien eu à braire, si on le lui avait annoncé. Will Smith et Céline Dion en tête des charts. 9 mars 1999 La série Les Soprano est sortie il y a quelques semaines. Bukowski l’aurait éventuellement un peu aimée. 9 mars 2000 Jacques Chirac rejette la demande de grâce médicale de Maurice Papon. 9 mars 2001 Les Twin Towers sont encore là pour quelques mois. Le vingtième siècle aussi. 9 mars 2002 Un jeune homme de 16 ans et demi, interpellé à Toulouse, reconnait avoir commis 360 vols avec violence en trois mois. Record de France. Les prisonniers de Guantanamo veulent savoir « ce qui va leur arriver ». 9 mars 2003 50 Cent et Cristina Aguilera en tête des charts. Bukowski a envie de vomir. Le secrétaire d’État américain Colin Powell met en garde la France contre l’emploi par elle de son droit de veto au Conseil de sécurité en faveur du projet de résolution fixant un ultimatum à l’Irak au 17 mars. Recep Tayyip Erdogan s’impose à l’élection partielle de Siirt, qui lui ouvre les portes au poste de premier ministre. Bukowski aimerait qu’on passe au jour suivant. 9 mars 2004 Usher et Britney Spears en tête des charts. Bukowski a jeté sa radio par la fenêtre. Guillaume Depardieu publie un livre où il règle ses comptes avec son père et avec son image. Son amputation lui a fait abandonner le cinéma pour l’écriture et la musique. Il mourra en 2008. 9 mars 2005 Saïdoullaïev devient le nouveau président indépendantiste tchétchène après qu’Aslan Maskhadov ait été tué par les russes. Johnny Hallyday lance un bimensuel sur sa vie. 9 mars 2006 James Blunt en tête des charts avec You’re Beautiful. Il se fait légitimement insulter par Bukowski. Huit ans de prison pour un père qui droguait les adversaires de ses enfants au tennis. Un enseignant contractuel de 33 ans, alors sans poste, fait irruption dans un lycée de Sablé-sur-Sarthe, en fin de matinée. Muni d’une arme de poing, il détient en otages vingt élèves, un professeur et un employé dans une salle de classe. La revue britannique Nature apporte la preuve, dans son édition du 9 mars, que Hwang Woo-suk a bien créé le premier clone de chien. Bukowski se marre. Il ne sait pas exactement pourquoi. 9 mars 2007 Thierry Henry se blesse avec Arsenal. Fin de saison. Dominique Fernandez entre à l’Académie. Bukowski ne sait pas qui sont ces gens. 9 mars 2008 Usher en tête des charts. La Chine affirme avoir déjoué un projet d’attentat visant les Jeux olympiques. Obama remporte les caucus démocrates du Wyoming. Juppé est réélu maire de Bordeaux. Autant dire que Bukowski est en train d’écouter une symphonie de Bach. 9 mars 2009 Le tabac est interdit à la vente pour les moins de 18 ans. Les cigarettes aromatisées sont totalement interdites. Une députée péroniste, Maria Beatriz Lenz, annonce son intention de déposer un projet de loi en vue de rapatrier les restes de l’écrivain Jorge Luis Borges (1899-1986), qui reposent au cimetière de Plainpalais, à Genève. 9 mars 2010 The Black Eyed Peas en tête des charts. Les premiers mariages homosexuels sont prononcés à Washington. Sept arrestations pour complot d’assassinat d’un caricaturiste suédois. 9 mars 2011 On compte 1210 milliardaires, c’est un nouveau record. L’État de l’Illinois abolit la peine de mort. Christian et Adriana Karembeu officiellement séparés. Pokémon noir et blanc vient de sortir. Bukowski se sent franchement vieux. 9 mars 2012 Jerry Lee Lewis se marie pour la septième fois. Sa nouvelle épouse est l’ex-femme de son cousin. Invité à donner une conférence sur l’état de l’économie mondiale, DSK est hué par 200 manifestants. La rumeur sur une possible implication russe dans la mort du président polonais Lech Kaczynski est relancée par l’existence d’un mail dévoilé par WikiLeaks. 9 mars 2013 Justin Timberlake en tête des charts. L’ancien président sud-africain Nelson Mandela, 94 ans, est sorti de son hospitalisation (en vie). Deux skieurs hors-piste tués dans une avalanche dans les Hautes-Alpes. 9 mars 2014 Pharell Williams en tête des charts avec Happy. Bukowski pensait écouter la publicité à la radio. Un baron de la drogue mexicain est donné pour mort pour la deuxième fois. Un seul candidat, désigné par le parti unique, est autorisé à solliciter les suffrages

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Taslima Nasreen, la femme dont la vie vaut 12,7% d’une Tesla model 3

Taslima Nasreen est une femme bangladaise, née en 1962. Elle s’intéresse à la poésie et commence à composer vers ses 13 ans. Au lycée, elle lance un magazine littéraire. Suivant la carrière de son père, elle devient gynécologue à partir de 1984. Elle publie un premier recueil de poèmes en 1986. Son second recueil (Banni à l’intérieur et extérieur) rencontre un certain succès, qui se confirmera avec des romans ou des éditoriaux. Elle dit notamment que l’obscurantisme « est responsable des maux dont souffrent les femmes du Bangladesh. » Le 27 septembre 1993, une fatwa est prononcée contre Taslima Nasreen par le Conseil des soldats de l’islam, qui appelle au « meurtre de l’impie. » Le gouvernement lance un mandat d’arrêt contre elle, invoquant une loi du XIXe siècle sur le blasphème. Après s’être cachée pendant deux mois, Taslima Nasreen se présente en août devant la Haute Cour de Dhaka. Elle est libérée sous caution et autorisée à conserver son passeport. «Je ne voulais pas quitter mon pays, on m’a forcée à partir, on m’a jetée dehors. J’aimerais y vivre mais ça m’est interdit. J’ai payé cher pour mes idées». Les dix années qui suivent, elle vit à Stockholm, Berlin ou New-York. Elle continue d’écrire. Ses idées peuvent, en partie, se résumer au fait qu’il n’y a pas de conflit entre l’Occident et l’islam, mais entre la laïcité et le fondamentalisme. Elle demande la nationalité indienne. Refusé. Elle écrit toujours. En 2007, elle donne une conférence en Inde. Une prime de 500 000 roupies (environ 5500 euros) est rapidement proposée par un groupe islamiste à toute personne qui pourra s’occuper de lui couper la tête. En novembre 2007, elle doit s’échapper de Calcutta. De nombreux individus semblent très énervés par sa présence dans la ville, à cause de propos jugés blasphématoires. Elle navigue de ville en ville mais choisit de rester en Inde, car, apparemment, elle s’y plaît et veut s’y battre pour la liberté. Elle obtient le prix Simone de Beauvoir, mais ne veut pas se rendre à Paris. Elle vivra sept mois à New Dehli dans un lieu tenu secret, sous protection du gouvernement indien. En mars 2008, elle est encore accusée de blasphème et menacée par des radicaux islamistes en Inde. Elle rejoint encore l’Europe. Le prix Beauvoir lui est décerné en mai de la même année par Rama Yade. Nasreen restera plusieurs années à Paris. En février 2010, un article lui est attribué dans le Kannada Daily. Elle nie en être l’autrice. C’est en fait une traduction bancale d’un article de 2007. Suite à la publication de la traduction pourrie en 2010, des émeutes éclatent dans le Karnataka. Deux morts. En 2015, Nasreen est cette fois menacée par Al-Qaida. Elle part aux États-Unis, où elle vit toujours. Sa tête vaut, au taux de change en vigueur début 2024, 12,7% du prix d’une Tesla Model 3. Peace (love, death metal). Post-scriptum : Taslima Nasreen est active sur X / Twitter, si vous souhaitez la suivre. (Tesla et X appartiennent d’ailleurs à la même personne)

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