Robert Dautray, né Robert Kouchelevitz en 1930 à Paris, est le fils d’immigrés juifs d’Europe de l’Est. Il est adolescent lorsque la Seconde Guerre éclate. Un jour, une voisine avertit sa famille que des soldats les cherchent… à leur ancienne adresse.
Robert, avec sa mère et sa sœur, s’échappent et trouvent refuge chez un berger, dans le Gard. Leur père ne veut pas s’enfuir, craignant que son accent compromette toute la famille.
Il sera arrêté lors de la rafle du Vél’ d’Hiv, déporté à Auschwitz, et ne reviendra pas.
Après la guerre, Robert reprend ses études. Il intègre Polytechnique, il change de nom, comme d’autres étudiants juifs. Puis, il rejoint le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), où il se distingue par ses capacités analytiques hors norme.
Dans les années 1960, la France cherche à rattraper son retard dans la course aux armes thermonucléaires. Les recherches piétinent, de Gaulle s’impatiente.
Dautray intègre et fait nettement avancer le programme. Ses calculs permettent à la France de tester sa première bombe H en 1968, faisant du pays une puissance nucléaire à part entière. Dautray refuse les projecteurs. Pas de publications éclatantes, peu de reconnaissance officielle.
Des insomnies. Une vie entière dédiée à la science. Et à la France.
Extrait de ses mémoires : « La France n’est pas seulement pour moi une idée ou un pays, elle est un idéal, un idéal concret. Toute ma vie, je l’ai chérie ; toute ma vie, je l’ai servie. […] C’est pour me montrer digne d’être son fils que je lui ai consacré tout mon temps et toutes mes forces. »
Il y confirme aussi que la France a bénéficié d’informations d’une nation amie (il ne la nomme pas, il s’agit probablement du Royaume-Uni), pour développer la bombe H.
Il s’accorde une demi-journée de repos par semaine, le dimanche après-midi, où il s’autorise à lire des ouvrages non-scientifiques.
Lorsque Dautray décède le 20 août 2023, seul, dans un appartement parisien, aucun hommage public ne lui est rendu, selon ses vœux.
Une lettre manuscrite est retrouvée après sa mort :
« Le mot de souffrance est ridiculement trop faible pour exprimer ce que fut de devoir survivre à la négation de la dignité humaine de mon père depuis le convoi qui le menait vers le camp d’Auschwitz jusqu’à son sort de fumée et de cendres. C’est pourquoi je souhaite qu’à ma mort il n’y ait aucune annonce, ni communiqué de la part de l’Académie des Sciences. »