Pourquoi la grève en France est-elle aussi méchante ? Parce que

Retour sur une tradition française

Le droit de grève en France est si ancré dans la culture nationale qu’on pourrait croire qu’il y a été découvert en même temps que la roue. Elle commence par une interdiction, continue avec des révoltes sanglantes, et finit par un droit constitutionnel.

1791, l’interdiction qui a tout déclenché

Ironiquement, c’est une loi répressive qui a lancé la grande tradition contestataire française. En 1791, la loi Le Chapelier interdit toute organisation ouvrière. Pas de syndicats, pas de grèves, pas de manifestations. La Révolution française, dans son souci de “liberté, égalité, fraternité”, ne voulait pas d’intermédiaires entre l’État et le peuple. Les ouvriers se sont dits : “Eh bien, révoltons-nous”. Logique.

Révoltes ouvrières et premières victoires

Dans les décennies qui suivent, les ouvriers commencent à s’organiser clandestinement pour revendiquer des droits, donnant lieu à des révoltes sanglantes, comme celles des Canuts de Lyon (1831, 1834). Bilan : des centaines de morts, mais aussi une prise de conscience sociale. En 1864, la France légalise enfin le droit de grève.

En 1946, ce droit sera inscrit dans le préambule de la Constitution

Le XXe siècle : grève, mon amour

Avec l’avènement des syndicats (légalisés en 1884), la grève devient une arme redoutable. Les grèves de 1936, sous le Front populaire, obtiennent des acquis majeurs : les congés payés et la semaine de 40 heures.

Plus tard, en mai 68, une révolte étudiante dégénère en grève générale, paralysant le pays et forçant le gouvernement à céder sur plusieurs fronts.

La grève comme art de vivre : pourquoi contester, c’est si français ?

La grève en France, ce n’est pas juste un moyen de faire pression sur un patron ou un gouvernement. C’est une tradition. Là où certains pays optent pour des pétitions, des discussions ou, soyons fous, des compromis, la France choisit le chaos organisé.

Culture du scepticisme

Les Français ne croient en rien. Ni en leurs politiciens, ni en leurs patrons, ni en la météo. Le philosophe René Descartes est peut-être célèbre pour “Je pense, donc je suis”, mais pour un Français, cela se traduit plutôt par : “Je doute, donc je fais grève”.

Chaque réforme est accueillie avec une méfiance collective qui frôle la paranoïa :

  • Pourquoi ça change ?
  • Qu’est-ce qu’ils nous cachent ?
  • À qui ça profite vraiment ?

Allez en route : on ne discute pas, on descend dans la rue. Si la SNCF est en grève et que vous ratez votre train, eh bien, marchez. Ça forge le caractère.

Passion collective pour le bras de fer

Entre 2008 et 2017, la France a perdu en moyenne 114 jours de travail par an pour 1 000 employés. Si nous ne sommes pas les seuls (Danemark : 116, Belgique : 91, ou l’Espagne avec ses 153 jours en moyenne pour 1000 employés par an, de 2000 à 2009).

Pour dire les choses simplement, la France est dans la Ligue des champions des grévistes. Contre-exemples : des pays présentent des taux beaucoup plus faibles : Suisse : 1 jour ; États-Unis : 6 jours ; Arabie Saoudite, Corée du Nord et autres régimes pète-sec : prison. Ou mort, au Bangladesh.

Privé contre public : qui gagne le concours de la grève la plus impactante ?

Le secteur public et le secteur privé jouent tous deux leur partition, mais avec des approches un peu différentes.

Secteur public : maestros du blocage

Le secteur public, c’est l’orchestre symphonique de la grève. Quand la SNCF, la RATP ou les profs décident de poser les outils, fin de la chanson, le pays entier se fige. Vous vouliez prendre un train pour un week-end à Bordeaux ? Dommage. Vous aviez un rendez-vous médical et pas de voiture ? Marche, fais pas chier. Le secteur public a une force de frappe impressionnante, car il gère des services essentiels.

Quelques chiffres pour briller dans vos dîners, si vous avez encore des amis dans la vraie vie, en 2025 :

  • 329 jours de grève pour 1 000 salariés dans le secteur public en 2011 (contre seulement 77 dans le privé).
  • Les grèves des transports publics et de l’éducation nationale touchent directement des millions de personnes.

Le secteur public ne peut pas être remplacé facilement. Vous pouvez rater un colis Vinted, mais rater votre train Paris-Lyon, c’est une autre histoire.

Secteur privé : des grèves plus silencieuses, mais parfois explosives

Dans le secteur privé, la grève est sensiblement plus rare. Les salariés hésitent à perdre un salaire pour bloquer une entreprise qui pourrait simplement… les licencier. Mais quand ça arrive, c’est parfois aussi le feu d’artifice. Les grandes grèves dans l’industrie (comme celles des ouvriers d’Airbus ou de Total) peuvent avoir des répercussions économiques majeures. On se souvient encore de la séquestration de dirigeants par des salariés en colère.

Pourquoi si peu de grèves dans le privé ?

  • La faible syndicalisation : moins de 5 % des salariés privés sont syndiqués, contre près de 20 % dans le public.
  • La peur de représailles : le patronat n’est pas réputé pour offrir des macarons aux grévistes.

Qui gagne ? Ça dépend de ce que vous voulez bloquer.

  • Secteur public : idéal pour mettre tout le pays à genoux.
  • Secteur privé : parfait pour secouer une entreprise toxique ou dénoncer une injustice économique.

Les syndicats français : la minorité bruyante qui fait trembler ta rue

Faible participation, haut-parleurs XXL

Les syndicats français, c’est un peu comme un groupe de punk rock des années 80 : peu d’adhérents, mais du bruit. Avec seulement 8 % des travailleurs syndiqués, la France est une anomalie en Europe, où la moyenne dépasse les 23 %. Mais malgré leur maigre représentativité, ils parviennent à mobiliser des millions de personnes. Comment font-ils ?

  • Une tradition historique : Les syndicats français, comme la CGT ou FO, ne se contentent pas de négocier. Ils descendent dans la rue, souvent accompagnés de banderoles, de choses qui font beaucoup de bruit et de slogans inventifs. Ça crée du spectacle, et ça marche.
  • Un système centré sur l’État : Contrairement à leurs homologues scandinaves, les syndicats français ne négocient pas majoritairement dans les entreprises, mais au niveau national. Chaque réforme devient un prétexte à une grande mobilisation.
  • Ôde au drame : Quand les syndicats français se battent, c’est avec l’intensité d’un opéra tragique. Pas de compromis mous. On bloque tout. On débranche, débranche, débranche tout. On revient à nous.

La France vs. l’Allemagne, petite comparaison

  • En France : grève d’abord, discussion ensuite.
    Ici, on préfère poser les outils avant même de voir si un compromis est possible.
  • Ailleurs : priorité à la négociation.
    En Allemagne, les syndicats privilégient les accords collectifs. Les grèves sont un dernier recours, souvent évité grâce à un système bien huilé.

Les conséquences ?

  • En Allemagne, le dialogue social permet de maintenir la productivité et d’éviter les blocages massifs.
  • En France, les grèves ont un impact économique direct, mais elles servent aussi de tribune politique et sociale. On ne bloque pas juste une usine, on lance un message au gouvernement, à l’Europe et parfois même aux pigeons sur les quais de gare.

L’efficacité des syndicats français est indéniable, mais leur approche musclée polarise les opinions. Certains les voient comme les derniers remparts contre les réformes brutales, d’autres comme des professionnels du chaos. Pendant ce temps, la plupart de nos voisins européens travaillent en paix, en se demandant pourquoi les Français aiment autant rater leur bus.