Rainer Zitelmann et la culture de l’envie : un thermomètre social mondial

Dans un monde où l’égalitarisme moral est devenu réflexe, que vaut encore une défense argumentée des riches, du capitalisme et de l’ambition individuelle ? L’historien et sociologue allemand Rainer Zitelmann, en plus de ressembler à Bernard Lavilliers, mène depuis plusieurs années une croisade intellectuelle contre ce qu’il appelle « la culture de l’envie », et ses conclusions dérangent autant qu’elles éclairent.

Rainer Zitelmann, anatomiste du ressentiment social

Né en 1957 à Francfort, Rainer Zitelmann a d’abord mené une carrière universitaire classique : une thèse sur Hitler, un poste de chercheur à l’université libre de Berlin, puis un virage entrepreneurial qui l’a rendu lui-même multimillionnaire. Ce parcours hybride — entre rigueur académique et réussite personnelle — nourrit l’ensemble de ses écrits. Dans The Rich in Public Opinion (2019), The Power of Capitalism (2018) et In Defence of Capitalism (2023), Zitelmann interroge l’environnement social dans lequel évoluent les individus fortunés et les systèmes de marché. Mais à rebours du courant dominant, il refuse de poser la richesse comme un problème. Il en fait un révélateur.

Une sociologie de l’envie

Le cœur de son travail repose sur une intuition aussi brutale que féconde : le ressentiment envers les riches est un fait mesurable. Pour cela, Zitelmann a fait réaliser une série d’enquêtes dans plusieurs pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis, Japon, Corée du Sud…) visant à évaluer deux attitudes : l’admiration et l’envie. Le résultat est une sorte de baromètre émotionnel du capitalisme. À travers des questionnaires standardisés, il identifie dans chaque pays le degré de sympathie — ou d’hostilité — vis-à-vis des riches, en croisant variables politiques, sociales et culturelles.

Les résultats sont éclairants. L’indice d’envie sociale, que Zitelmann publie régulièrement, offre un classement implicite des pays selon leur tolérance à la réussite économique. Voici ce que révèle l’étude :

RangPaysTendance sociale dominante
1États-UnisAdmiration élevée, faible envie
2Corée du SudForte valorisation de l’effort
3Royaume-UniAmbivalence, mais admiration encore présente
4JaponRespect discret, envie modérée
5Pologne / TchéquieTransition post-communiste encore visible
6AllemagneMéfiance culturelle envers l’argent
7EspagneCritique sociale forte
8FranceHostilité quasi structurelle

La France, pays de l’égalité érigée en vertu cardinale, se classe systématiquement dans les dernières positions : peu d’admiration pour les self-made men, beaucoup d’envie envers les détenteurs de capital. Une spécificité culturelle qui, selon Zitelmann, freine à la fois l’innovation, l’investissement privé et la mobilité sociale réelle.

Le capitalisme, contre-intuitif et efficace

Mais Rainer Zitelmann ne se contente pas de mesurer les émotions collectives. Il cherche à en tirer des leçons politiques. Dans The Power of Capitalism, il retrace l’histoire comparée des économies planifiées et des économies de marché. Son propos : le capitalisme, aussi imparfait soit-il, a sorti plus de gens de la pauvreté que n’importe quelle autre idéologie. Il rappelle les échecs du Venezuela, de l’ex-URSS, mais aussi les transformations spectaculaires de pays comme la Chine post-Deng ou le Vietnam depuis les réformes de Đổi Mới.

Ce qui fait la particularité de Zitelmann, c’est son refus du manichéisme. Il ne défend pas les riches comme classe sociale ; il défend le droit à la réussite individuelle. Il ne nie pas les abus du marché, mais pense que les solutions environnementales, technologiques et sociales émergeront plus facilement dans des contextes libéraux que sous contrôle étatique rigide.

Une parole minoritaire mais structurée

En Europe occidentale, ses idées restent minoritaires. Rainer Zitelmann ne cache pas son inquiétude face à ce qu’il nomme « le retour des idées anti-capitalistes dans les habits de l’écologie ». À ses yeux, l’environnement social actuel — fait d’indignation morale, de nivellement idéologique, d’hostilité aux différences — n’est pas favorable à la résolution concrète des problèmes contemporains. Pire, il enfermerait les sociétés dans une vision punitive de la réussite, où l’on ne célèbre plus ceux qui réussissent, mais ceux qui dénoncent.

Il serait facile de caricaturer Zitelmann en défenseur des puissants. Ce serait pourtant passer à côté de la nature intellectuelle de sa démarche : il ne cherche pas à convaincre que les riches sont tous bons, mais que l’envie sociale est mauvaise pour tous. Il ne propose pas un modèle économique unique, mais une condition : que l’admiration ne soit pas systématiquement suspecte, que la réussite ne soit pas moralement coupable.

L’apport de Zitelmann est donc double. Il documente, chiffres à l’appui, les fantasmes contemporains autour de la richesse. Mais surtout, il oblige chacun à penser contre ses automatismes moraux. Pourquoi suis-je gêné par la réussite d’un autre ?