Parler « petit nègre » : d’où cela vient-il ?

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L’origine militaire du « petit nègre »

Le « petit nègre » n’est pas né des bouches des Africains colonisés. C’est une invention française, élaborée par l’armée pour se faire comprendre de ses tirailleurs sénégalais au début du XXe siècle.

Tout commence en 1857, lorsque la France recrute des soldats dans ses colonies d’Afrique de l’Ouest. Ces hommes, issus de diverses ethnies et parlant des dizaines de langues, doivent recevoir des ordres clairs. Le français standard est jugé trop complexe. Maurice Delafosse, administrateur colonial et linguiste, est chargé de concevoir un « français simplifié », qu’il adapte aux capacités perçues de ces soldats noirs.

Le résultat est une langue déshumanisée. Delafosse préconise d’éliminer les conjugaisons — « Moi parler » remplace « Je parle » — et de réduire la négation à un simple « pas » : « Toi manger pas ». Les phrases se construisent autour de mots minimaux, répliquant un schéma rudimentaire que l’on retrouve, par exemple, dans le tristement célèbre « Y’a bon Banania ».

L’objectif ? Maximiser l’efficacité sur le terrain. Le manuel Le français tel que le parlent nos tirailleurs sénégalais (1916) en est la preuve concrète. Ce livre, diffusé par le Ministère de la Guerre, sert de guide aux officiers pour interagir avec leurs subordonnés.

Un stéréotype qui a longtemps persisté dans la culture populaire

Ironie de l’histoire : cette langue artificielle s’avère plus complexe que prévue. Les formules s’allongent. Là où une phrase suffirait en français classique, trois ou quatre sont nécessaires en « petit nègre ». En 1926, face à l’inefficacité de ce jargon, l’armée finit par l’abandonner. Trop tard. Le « petit nègre » est déjà passé dans l’imaginaire populaire.

Relégué hors des casernes, il survit dans la publicité, le cinéma, la bande dessinée. Véritable outil de moquerie, il perpétue un stéréotype colonial sur l’incapacité supposée des Noirs à maîtriser la langue de Voltaire.